30 janvier 2011
Critique Tron l'Héritage
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29 ans après le film original, Kevin Flynn (Jeff Bridges) et le monde numérique de Tron sont de retour au cinéma le 9 février 2011 dans Tron : l'Héritage. C'est désormais son fils, Sam Flynn (Garett Hedlund), 27 ans, expert en technologie qui tient le haut de l'affiche. Cherchant à percer le mystère de la disparition de son père, il se retrouve aspiré dans ce même monde de programmes redoutables et de jeux mortels où vit son père depuis 25 ans. Avec Quorra (Olivia Wilde), la fidèle confidente de Kevin, père et fils s'engagent dans un voyage où la mort guette, à travers un cyber univers époustouflant visuellement, devenu plus avancé technologiquement et plus dangereux que jamais...
L'idée de réaliser une suite à Tron ne date pas d'hier, celle-ci trottait dans la tête des dirigeants des studios Disney depuis de nombreuses années. En effet, des rumeurs sur la réalisation de ce second opus pullulaient sur le net depuis plus de dix ans. Le projet s'est enfin concrétisé en 2008, par le biais d'une annonce officielle lors du Comic Con où une bande annonce teaser fut dévoilée. Depuis, les fans du premier film trépignaient d'impatience de découvrir la suite des aventures de Kevin Flynn. Alors, Tron : l'Héritage est-il à la hauteur de leurs espérances, a-t'il réussi à gommer les défauts du premier film tout en le modernisant? C'est ce que nous allons voir tout de suite!
Tron : l'Héritage est avant tout une réussite sur le plan visuel et musical. Oubliez les combinaisons kitchs et les visages en noir et blanc du Tron original, nous avons désormais droit à de superbes costumes noirs (à 60 000 dollars l'unité!), parés de lumières et de casques futuriste. Il en va de même pour les décors, le monde de Tron a bien changé depuis les années 80. Nous nous retrouvons dans un univers futuriste, à la fois sombre et lumineux, parsemé de building au design épuré et de plaines numériques sans fin. Les véhicules ont également eu droit à leur cure de jouvence, notamment les fameux motocycles lumineux de toute beauté. On retrouve aussi une version liftée du voilier solaire et des vaisseaux de transport du premier film. Petite nouveauté, nous trouvons désormais un véhicule type tout terrain qui aidera Flynn à s'enfuir de l'arène de combat lors d'une des meilleures scènes d'action du film. Le design de cet univers fabuleux a été crée par de multiples designers automobile et architectes du monde entier. La plupart n'avaient jamais travaillé pour le cinéma, mais étaient tous fans du premier film. C'est par exemple Daniel Simon, ex- designer chez Bugatti, qui s'est chargé de recréer les motocyles lumineux en se basant sur les dessins originaux de Syd Mead (concepteur des fameuses machines sur le premier Tron).
Du côté des musiques nous sommes également gâtés! Et cocorico, il s'agit du duo électro français Daft Punk qui s'est chargé de la bande originale! Je suis personnellement un fan des premiers albums du groupe et je dois dire que j'attendais avec une grande impatience de voir ce qu'ils allaient faire pour leur première participation à la musique d'un film (qui plus est un Disney, que demandez de plus!). Et bien je n'ai pas été déçu, le rendu est tout bonnement fabuleux. Les bits électro des frenchies vont à ravir avec l'univers du film! Et d'ailleurs ont aurait put s'attendre à ce qu'il n'y ait que des morceaux électroniques, mais pas du tout, certain sont joué de manière plus traditionnelle avec de vrais instruments. Le duo a ainsi élaboré une véritable symphonie, interprétée par une centaine de musiciens prestigieux, et enregistrée à Londres, aux Air Lyndhurst Studios. Une bien belle réussite donc, et je ne peux que vous conseiller de vous procurer cette bande originale au plus vite!
Mais venons en aux points un peu moins glorieux du film. Tout d'abord le scénario, très classique dans son architecture, nous suivons le personnages principal dans sa découverte du monde numérique, sans réel surprise. Nous sommes ainsi transporté par la musique et l'image, mais dès que l'histoire se met en place, on a comme une impression de déjà vu. Le scénario se repose ainsi totalement sur le paraître et n'arrive pas à nous émouvoir. Peut-être que l'univers sombre et froid du film y est pour beaucoup, mais également le fait que les acteurs ont la plupart du temps joué sur fond bleu.
Ce qui m'en vient à vous parler du second point faible du film, le jeu des acteurs. Malgré un casting de premier choix (Jeff Bridges, Michael Sheen, Olivia Wild), ont a du mal à y croire. Certainement car les acteurs eux-mêmes n'y croient guère. Le tournage a d'ailleurs été assez rapide (un peu plus de deux mois), pour laisser ensuite place à 68 semaines de post-production. Ce qui montre bien aussi le peu de considération envers les acteurs au profit des effets spéciaux... Joseph Kosinski (le réalisateur) a donc encore beaucoup de travail avant de savoir réellement diriger des acteurs. Mais il n'en reste pas moins talentueux, notamment dans la conception des scènes d'action. L'autre problème vient du personnage principal, interprété par un outsider, Garett Hedlund. Sans réel talent particulier (hormis son corps d'athlète), ce jeune acteur à la carrière balbutiante n'est guère très convaincant dans le rôle du fils de Kevin Flynn. Il en est de même pour Jeff Bridges qui a perdu tout la fougue et l'humour de son personnage dans le premier film. Il est ainsi devenu une sorte de vieux sage, passant son temps à méditer, mouais...
Pour finir je voudrais toucher un mot sur la projection 3-D du film. Si vous avez la chance d'avoir une salle IMAX près de chez vous, sachez que le film sera également projeté dans ce format. Tron : l'Héritage est un VRAI film 3-D, contrairement a beaucoup de film concurrents. Ainsi, toute la première partie du film qui se déroule dans le monde réel n'est pas en 3-D, celle-ci n'apparaissant qu'une fois arrivé dans le monde virtuel. Une manière intelligente d'utiliser la 3-D plutôt appréciable. De plus les effets de relief et de profondeur sont de qualité et nous permettent de vraiment nous immergé dans ce monde fascinant.
Tron : l'Héritage remplit très bien sa part du contrat en nous transportant dans univers virtuel somptueux, accompagné de musiques grandioses et de scènes d'action terriblement efficaces. De quoi nous faire oublier un scénario un peu léger et des dialogues peu inspirés. Un film fait pour les salles de cinéma, assurément!
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23 janvier 2011
L'Homme Orchestre
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Sur la grande place d'un village, dans un pays imaginaire, se trouve un homme orchestre jouant timbale, cymbales et trompette. L'endroit est désert, excepté une petite fille. Elle tient une pièce d’or dans la main, brillante au soleil, et se prépare à la jeter dans une fontaine. Avec un regain d’énergie, le musicien séduit la jeune fille ; la voila tentée de laisser son trésor au troubadour. Mais un autre musicien au physique maigre, sec et anguleux, portant un chapeau de fou sur la tête fait son apparition. Il joue avec une série d’instruments à cordes, pour la plus grande joie de la petite fille. Elle hésite. Une bataille musicale s’ensuit.
Tel est le pitch de One Man Band (L’Homme Orchestre) premier court-métrage Pixar à être dirigé par deux réalisateurs. Mark Andrews et Andy Jimenez on déjà eu l'occasion de travailler ensemble par le passé, sur des films tels que Le Géant de Fer ou Spider-man. Ils arrivèrent à Pixar pour travailler avec Brad Bird sur Les Indestructibles. Andrews était responsable de l’histoire; Jimenez était directeur de la photographie et l’artiste en charge de la construction digitale du storyboard.
Brad Bird, co-producteur exécutif du court métrage, explique la relation de travail du duo: “Mark est le cerveau qui trouve l’idée, et Andy est celui qui la transfert à l’écran… Ils s’adorent et se détestent, se rendent fou l’un l’autre mais ont toujours un profond respect l'un envers l'autre.” Jimenez décrit leur partenariat avec des termes plus imagés : "Mark est un fou armé d'une épée courant sur une colline, et je suis celui qui aiguise sa lame m'assurant que sa pointe est fiable."
Jimenez et Andrews ont tous les deux eux de mauvaises expériences dans d’autres studios, où ils ont du travailler en co-réalisation avec une personne avec qui ils n’ont jamais put s’entendre sur une vision cohérente du film. Alors quand Ed Catmull rapprocha les compères en leur proposant de réaliser un court métrage chez Pixar, ils réalisèrent qu’il leur fallait une idée crédible pour tous les deux. Andrews se rappelle du tout début de leur collaboration : "le premier mois, nous travaillions Andy et moi sur ce que l’on aimait et nous avons identifié la zone « grise » où nos idées et nos goûts se mélangeaient le mieux."
Les deux futurs réalisateurs présentèrent trois idées lors d’une réunion de scénario au studio. La première était à propos de deux rois rivaux qui se battaient de plus en plus violemment pour le seul plaisir de leur bébé « pourri-gâté », la seconde parlait d’un père qui redécouvrait un parc d’attraction avec son fils et la troisième racontait l’histoire d’une bataille de musiciens. Ce fut la troisième idée que John Lasseter retenu instantanément. L'histoire de ce troisième projet était un parfait mixe entre l’énergie maniaque de Andrew et le coté sentimental de Jimenez. L'Homme Orchestre était né.
L'Homme Orchestre, comme tous les autres courts métrages Pixar, passa par une période de gestation afin que les réalisateurs comprennent complètement leurs personnages et leurs motivations. Dans des versions préliminaires, les troubadours duellistes (Treble et Bass) essayaient de gagner l’attention d’une grande foule. "Nous établissions l’enjeu" explique Andrews, "mais on ne savait toujours pas comment ressentir ce qu’il se passait car on ne pouvait s'identifier à aucun des personnages."
Dans les premiers storyboards, Andrews n’arrêtait pas de revenir sur le dessin d’une petite fille. Il trouva plus facile de comprendre la réaction d’un personnage plutôt que d’une foule. Il tenait cela d'une leçon de réalisation reçu par le réalisateur hollywoodien Frank Capra. Il devint vite évident pour les réalisateurs qu’ils devaient enlever la foule pour se concentrer sur l’interaction entre les musiciens et la petite fille. Malgré tout, les motivations restèrent assez floues. Lors d’une réunion d’histoire, Ed Catmull demanda, "Que fait la petite fille sur cette place?" Il répondit à sa propre question, suggérant qu’elle était là pour jeter une pièce dans la fontaine. "Il devint évident qu’ils allaient jouer pour l’argent de la fillette", dit Andrews, "lls passèrent ainsi d'adorable à totalement détestable en un instant."
Avec l’histoire bien en place, Andrews et Jimenez créèrent une animatic (une première ébauche du film sous forme de storyboards filmés avec les voix et une ébauche de la musique). La projection test devant John Lasseter ne se passa pas bien. Les jeunes réalisateurs comprirent que leur animatic était plate, fade, car la musique était juste une série de musique aléatoire, en total décalage avec ce qui se passait à l'écran. Pour aller avec l’action montante des musiciens, les réalisateurs avaient besoin de travailler avec un compositeur. On appela alors Michael Giacchino, qui était à l'époque sur le point de composer la bande originale de Les Indestructibles. Il fut très intéressé par les possibilités de L'Homme Orchestre : "La plupart du temps, je ne compose pas pour un film tant qu’il n’est pas complètement terminé, ici j'avais l’opportunité de faire réellement parti de l’histoire." Pour le compositeur, cette opportunité était "le truc le plus cool de l’univers."
Une autre personnalité s’ajouta plus tard au projet, Ronnie Del Carmen, au poste de directeur artistique. Comme Andrews, Del Carmen était superviseur de l'histoire chez Pixar, mais son habilité comme designer et dessinateur lui permettait de changer de casquettes. Une de ses premières tâches fut de créer le village rustique du film. Les réalisateurs souhaitaient mettre en place leur histoire dans un monde imaginaire et perdu dans le temps, Del carmen incorpora donc quelques détails hétéroclites : pizzeria italienne, folklore mexicain (Southwestern terra-cotta) et de l’architecture tibétaine. La lumière de la place du village était inspirée d’une peinture de l’artiste allemand, inconventionnel et lunatique, Sowa. "C’est vraiment grâce au travail de Ronnie que fut créé une ville hors du temps et de l’espace, avec une fusion magnifique de différents styles," dit Jimenez. Il se remémora avec amusement qu’a chaque fois qu’il passait le film dans un festival français, allemand ou Italien, l’audience demandait au réalisateur si L'Homme Orchestre était inspiré d’une ville particulière de leur pays.
Une autre tâche pour Del Carmen était de créer la petite fille. Del Carmen la surnomma Tippy. Les instructions qu'il reçut étaient simples : "Tout ce que nous lui avions dit était que c'était une petite fille curieuse qui devait nous émouvoir," dit Jimenez. Vers la fin du film, quoi qu'il se passe, la mignonne petit bouille doit devenir dur. Quand la précieuse pièce est perdu dans les égouts, elle va tendre la main avec conviction vers les musicien décontenancés et leur demander un dédommagement. Del carmen développa cette scène avec une étude décomposée du personnage par dessin séquencé en une seule page. Quand Jimenez et Andrews virent ses dessins, ils surent qu’il tenait leur personnage.
A l’image des deux musiciens en compétition, Jimenez et Andrews ont eu nombreuses disputes, certaine sous la forme de grosses engueulades. Malgré tout, ils étaient en parfaite osmose pour poursuivre un but commun : faire un grand film. Del Carmen s'entendit très bien avec les réalisateurs grâce à leur habilité à prendre des décisions et à ne pas laisser l’équipe artistique en attente ou dans le doute, une expérience que Jimenez et Andrews avaient déjà connu avec d'autres réalisateurs et qu'ils ne voulaient surtout pas imiter. Del carmen admire les décisions de Andrews et Jimenez quand au style du film : "Les possibilités offertes par l’image de synthèse sont infinies ; nous voulions rendre honneur à toutes ces possibilités. Jimenez et Andrews travaillaient à l’instinct. Même dans l’incertitude, ils prenaient des décisions, puis en prenaient des différentes plus tard, le principal étant qu'ils fassent des choix."
Une fois le background établi, il restait encore beaucoup de travail pour les réalisateurs. Andrews était comme estomaqué par la myriade d’options possibles offertes pour un réalisateur : "Les différents départements comme l’ombrage, le modeling, la lumière, le rendu ou l’animation ont besoin des détails les plus précis pour travailler… Du rendu des plis sur un vêtement, du grain du bois du violon ou encore des reflets du chrome sur les basses ou les trompettes. La forme des nez des personnages était vraiment le plus fastidieux. On devait également décider si les cordes des instruments devaient vibrer ou pas. Comment vouliez vous que je le sache ! C’était un truc de fou."
Heureusement pour Andrews, le reste de l’équipe Pixar arrangea les choix infinis en un nombre gérable d’options. "Notre superviseur technique, Bill Polson, nous sauva de la galère plus d’une fois", admet Andrews. "Il calmait le jeu en faisant la part entre ce que nous voulions et jusqu’où nous pouvions aller, il remuait ciel et terre pour nous présenter cinq versions différentes de chaque élément. Il devint plus facile pour nous de choisir, comme un QCM".
Ainsi, malgré les difficultés durant le développement de l’histoire ou la montagne de choix possible pour leur toute première réalisation, Andrews et Jimenez jouèrent leur musiques ensemble, et L'Homme Orchestre fut terminé en huit mois, ce qui était un record pour la réalisation d'un court métrage contemporain.
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Texte traduit du livre The Art of Pixar Shorts Films par Guillaume Amiot, encore merci pour son aide précieuse.