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The Art of Disney
6 mars 2010

Walt Disney Feature Animation France

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Lorsque l’on parle du cinéma d’animation, on pense immédiatement aux artistes et aux grands studios de production américains. Pourtant l’art des studios Disney se nourrit de la créativité d’artistes issus de tous les pays du globe et de la culture de chacun. De 1989 à 2003, la France a eu le privilège d’accueillir l’un des studios de production de la célèbre maison et a offert la chance à des artistes français de vivre un véritable rêve éveillé. Retour sur cette période remarquable…

Avant de rejoindre Disney, le studio de Montreuil était une petite structure de production cinématographique créée par les célèbres frères Brizzi. Passionnés depuis leur plus jeune âge par la peinture et le dessin, et suite à la rencontre décisive avec Paul Grimault (un des pères fondateurs du cinéma d’animation français et réalisateur du (Le) Roi et l’Oiseau), les frères Brizzi tombent amoureux du cinéma d’animation. C’est pour eux la possibilité de donner vie à la peinture. Créatifs et indépendants, Paul et Gaëtan Brizzi veulent vivre de leur passion et se donner les moyens de leur ambition. Pour se faire, ils créent Brizzi Films en 1986. D’abord situé à Gentilly, le studio déménage très vite à Montreuil-sous-Bois pour intégrer des locaux plus grands et ainsi accueillir plus d’artistes. Brizzi Films vit pendants plusieurs années de la production de publicités, de séries animées pour la télévision (Le Piaf), de la création de personnages, etc. Ceci tout en essayant de développer en parallèle des projets plus originaux de courts et longs métrages animés.

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Paul et Gaëtan Brizzi (directeurs créatif des studios de Montreuil) accompagné de Roy E. Disney

C’est en 1989 que la Walt Disney Company leur offre l’opportunité de travailler sur des projets plus enrichissants en les intégrant au sein de la filiale télévision. Disney arrivait à point nommé au moment où le studio connaissait quelques difficultés financières et où l’envie de travailler sur de nouvelles productions se faisait sentir. L’objectif pour Disney était d’élargir ses possibilités de production et c’est après un tour d’Europe de tous les studios d’animation que Disney a jeté son dévolu sur le petit studio, comme le racontent les frères Brizzi : « Ils ont trouvé au sein de Brizzi Films, la main d’œuvre qualifiée pour subvenir à leur besoin. On a été très honorés parce que pour nous, Gaëtan et moi mais aussi tous les membres de l’équipe, le nom de Disney est venu éclairer le studio. C’était une référence de qualité, de prestige. C’était flatteur pour nous. Disney ne prenait pas d’engagement à la légère. Ils étaient venus, ils avaient envoyé leurs experts pour voir si notre société était sérieusement gérée, si elle était capable de répondre techniquement, artistiquement et créativement aux besoins qu’ils avaient. Et ils nous ont déclaré que dans leur tour d’Europe, on venait largement en tête et que c’était avec nous qu’ils avaient envie de travailler. Ils sentaient que leurs productions seraient entre de bonnes mains. On nous assuré que nous prendrions en charge la production de longs métrages, donc cela nous a fait prendre la décision de vendre Brizzi Films à Disney. Et de diriger la société Disney Animation France en tant que directeurs généraux.» Tous le monde au studio sauta de joie en apprenant cette grande nouvelle, le rêve éveillé commence pour les petits français…   

Chacun s’attèle alors à sa tâche et intègre les méthodes de travail à la Disney : on exacerbe la spécialité et le talent particulier de chaque artiste pour en faire son cœur de métier. On parle d’hyper spécialisation. Une technique de travail à la fois enrichissante car elle permet à chacun d’arriver à un niveau élevé de son art mais aussi contraignante car elle réduit la polyvalence et rend les artistes dépendant les uns des autres.
D’abord intégré dans la filiale télévision, les studios de Montreuil œuvrent sur des séries animées. Ils auront notamment la chance de travailler sur un épisode spécial Noël des Aventures de Winnie l'Ourson, Winnie l'Ourson : Noël à l'Unisson, Super Baloo, La Bande à Dingo, ou encore Bonkers. Le studio produit également deux longs métrage tirés de séries TV : La Bande à Picsou : le Trésor de la Lampe Perdue et Dingo et Max. En 1994, Disney souhaite renforcer ses équipes de production pour les longs métrages, il est alors temps de réaliser la promesse faite aux Brizzi. Le studio passe alors dans la filiale film et est renommé Walt Disney Feature animation France. C'est la consécration pour le studio qui rejoint le cercle très fermé des studios étrangers travaillant sur les Grands Classiques Disney adulés par des millions d’enfants et d’adultes.

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Layout de La Bande à Picsou : Le Film et propositions d'affiches pour Dingo et Max par Jean Duval

A partir de 1994, les studios de Montreuil travaillent sur des projets de plus grande envergure, les Brizzi racontent : « Le travail est devenu beaucoup plus intéressant, plus gratifiant. Chacun pouvait travailler à un rythme plus modéré. Il y avait plus d’argent. Pour les employés c’était beaucoup mieux. Gaëtan et moi restions frustrés car au niveau de la créativité, ce n’était toujours pas mieux. Disney nous a alors proposé de faire un essai sur Le Bossu de Notre Dame en venant à Los Angeles et en étant nommés directeurs de séquence. […] Los Angeles devenait une possibilité de réaliser les paris qu’on s’était fixés ». Les Brizzi restent neuf mois aux Etats-Unis et réussissent à convaincre Disney de leur laisser la production de larges séquences du (Le) Bossu de Notre Dame : « Après avoir fait les storyboards du Bossu, on nous a renvoyé à Paris pour les diriger au sein  de nos équipes. On a fait notre travail de réalisateur et ça a été un an formidable pour réaliser ces passages. […} Ils nous ont confié les séquences les plus importantes, on a repensé complètement le prologue, on leur a proposé de commencer le film de manière très dramatique et spectaculaire avec la poursuite de la mère de Quasimodo par Frollo. […] On nous a vraiment donné carte blanche. Paul et moi avons pu nous exprimer entièrement, pleinement.» Après la production du bossu, les frères Brizzi quittent Montreuil pour s’installer définitivement à Los Angeles et travailler notamment sur la séquence de L'Oiseau de Feu de Fantasia 2000. Les studios continuent ensuite leur travail et participent à de nombreuses productions tels que Hercule, Tarzan, Kuzco, l'Empereur mégalo et Frère des Ours. Cette période sous l’égide de Walt Disney Feature Animation fut particulièrement riche et passionnante. L’émulation est à son comble et tout est mis en œuvre pour stimuler la créativité des artistes. Jean-Luc Ballester, qui a travaillé à l’animation durant 14 ans au sein du studio se rappelle des ateliers dispensés par des animateurs réputés comme Glen Keane lors de la réalisation de Tarzan et des cours sur des sujets précis comme les personnages, le décor, le mouvement, mais aussi des leçons d’acting. Il s’agit de théâtre corporel où l’objectif est d’étudier la gestuelle et les expressions. Ceci est essentiel pour créer un personnage qui plaira et parlera aux spectateurs. A travers les mouvements du corps du personnage, on doit pouvoir ressentir sa personnalité, sa psychologie, ses sentiments et ses émotions. Comme un acteur, l’animateur mime le personnage pour le comprendre et entrer dans sa peau.

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Storyboards pour la série TV Super Baloo et Winnie l'Ourson : Noël à l'Unisson par Jean Duval

La phase de préparation est un moment important dans la réalisation d’un long métrage : les artistes doivent s’imprégner des ambiances, des atmosphères, d’un lieu, d’une odeur, etc. pour réussir à les retranscrire dans leurs dessins. Des visites sont donc organisées comme au musée de Cluny et à Notre Dame de Paris pour Le Bossu de Notre Dame, au zoo de Vincennes et de la Palmyre pour Tarzan. On fait venir des artistes des Etats-Unis tandis que des français partent là bas, pour partager les connaissances, les techniques,  la créativité, les idées... Tout ceci dans la bonne humeur et la joie de travailler pour une maison réputée comme Disney. Certains artistes ont également la chance de travailler sur des séquences de Lilo & Stitch, Le Livre de la Jungle 2, Atlantide, l'Empire Perdu ou encore Fantasia 2000.
Choisis pour leur haut niveau d’exigence, leur créativité et la maîtrise de leur art, les artistes du studio continuent d’améliorer leurs compétences aux côtés des artistes américains et d’intégrer des techniques de production rigoureuses. Le travail avec la maison mère est plutôt contingenté. Les storyboards sont envoyés avec les instructions de production. Les artistes français réalisent les séquences demandées et les envoient ensuite aux Etats-Unis. Pendant que la France dort, les américains travaillent et envoient leurs remarques aux français en retour. Le décalage horaire joue en la faveur des studios.

Malheureusement certains événements vont venir sortir le studio de son rêve éveillé. Le déficit de plusieurs parcs à thèmes, le succès mitigé des derniers longs métrages comme Dinosaure ou Atlantide, l'Empire Perdu ainsi que l’arrivée de Jay Rasulo à la tête de la compagnie, accompagnée d’un changement de stratégie plus tourné vers le business que la créativité vont amener Disney a fermer plusieurs de ses studios dont celui de Montreuil. C’est la douche froide pour tous  les employés! En 2002, on annonce la vente du studio à un repreneur : la société Iétis, créée par Jean-Pierre Quenet, l’ancien directeur du studio de Montreuil, associé à Philippe Grimond (réalisateur d’Astérix et le Coup du Menhir), qui souhaitent créer un studio de 3D. Disney engagerait 50% des frais de production et 50% doivent venir de l’extérieur. Malheureusement Jean-Pierre Quenet et Philippe Grimond ne réussiront pas à trouver les fonds nécessaires et la fermeture du studio est engagée en mai 2003 pour définitivement fermer ses portes en septembre. Les artistes orphelins se répartissent alors au sein de deux nouvelles structures : Néomis créé par Bruno Gaumetou et Welldone créé par Dominique Montferry (aujourd’hui fermé). Tandis que d’autres partent vers de nouveaux horizons en France et à l’étranger.
Passionnés par leur travail, forts du succès de leurs productions, chacun se sentait invincible et s’était senti pousser des ailes. Mais les enjeux économiques ont stoppé net le studio et laissent derrière eux un goût d’inachevé, de gâchis et de déception.

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L'équipe du studio de Montreuil au grand complet (1996)

Malgré cette fin prématurée, les studios de Montreuil auront eu la chance de faire partie de la grande famille de l’animation made in Disney. Cette quinzaine d’années aura permis à des centaines d’artistes de réaliser leur rêve d’enfant d’un jour dessiner des personnages Disney. Mais au-delà de l’accomplissement d’un rêve, c’est aussi un accomplissement professionnel avec la rencontre d’artistes renommés comme Glen Keane, Andreas Deja, Bolhem Bouchiba, Patrick Delage ou même quelques-uns des derniers « nine old men » vivants comme Marc Davis, Frank Thomas ou Eric Larson. Les français ont pu se frotter à des artistes américains plein de talent, acquérir des techniques de travail nouvelles, participer à des projets d’envergure avec des moyens matériels et financiers énormes pour le monde de l’animation. En résumé, Disney a permis de monter le niveau d’un cran et a fait grandir une nouvelle génération d’artistes talentueux.
Aucun ne regrette d’avoir participé à cette aventure captivante et unique en France. Chacun continue aujourd’hui à vivre sa passion, certains aux Etats-Unis chez Pixar, Dreamworks ou bien sur Disney et d’autres en France chez Néomis par exemple.
Pour conclure, ce qui rassemble Paul et Gaëtan Brizzi, Jean Duval et Jean Paul Ballester et sûrement de très nombreux artistes, c’est l’idée que pour faire un  film d’animation réussi, il faut une histoire, un scénario bien écrit, émouvant et qui transporte les téléspectateurs. Walt Disney lui-même défendait cette idée essentielle et aujourd’hui John Lasseter fait de ce principe le cœur du travail des studios Disney et Pixar. La technique ne se suffit pas à elle-même, qu’elle soit 2D ou 3D. Comme l’exprime bien les frères Brizzi, le film ne doit pas être un film « clin d’œil » où l’on passe un bon moment, mais véritablement une expérience inoubliable qui transporte le spectateur. Il doit avoir l’impression que ce qu’il a vu est réel et d’être entré dans un autre univers.

Pour en apprendre encore plus sur les studios de Montreuil, nous vous proposons d’écouter les interviews de Paul et Gaëtan Brizzi, Jean Duval et Jean-Luc Ballester. Bonne écoute!

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P&G-Ruby

Jean-Duval

Jean-Luc-Ballester

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