Alice au Pays des Merveilles
Alice in Wonderland (Alice au Pays des Merveilles) est le 13ème long métrage des Walt Disney Animation Studios. Il s'agit sans aucun doute du film le plus déjanté et le plus déroutant de toute la filmographie du studio. Adapté du célèbre livre de Lewis Carroll, que Walt Disney adorait, Alice au Pays des Merveilles fut particulièrement difficile à adapter en film d'animation, tant le récit du livre était décousu et ses personnages complètement loufoques. En effet, comment réussir à faire rêver petits et grands avec une histoire sans queue ni tête? Le succès de Cendrillon aidant, les artistes du studio prirent le risque de surprendre...
De gauche à droite : Lewis Carroll - Alice Liddell qui inspira le personnage d'Alice - Illustration de John Tenniel
Alice au Pays des Merveilles est inspiré de deux romans de Lewis Carroll, Les Aventures d'Alice au Pays des Merveilles et De l'Autre Côté du Mirroir. Lewis Carroll, de son vrai nom Charles Lutwidge Dogson est né la 27 janvier 1832 à Daresbury dans la région anglaise du Cheshire. Après une enfance idylique dans un milieu aisé, le jeune Dogson étudie à Christ Church Collège d'Oxford, qu'il ne quittera plus en y devenant professeur de Mathématique. C'est là bas qu'il rencontrera la famille Liddell dont le père était le doyen de l'école. Dogson tombe alors littéralement sous le charme des trois filles du doyen, et en particulier de la jeune Alice. Le 4 juillet 1862, profitant d'un voyage dans un bateau à rames sur la Tamise (entre Oxford et Godstow), la petite Alice Liddell alors âgée de dix ans demande à Charles Dodgson de la distraire en lui racontant une histoire. Pendant que le révérend Robinson Duckworth se charge de ramer, Charles Dodgson s'exécute en racontant à l'enfant et ses deux sœurs également embarquées, Edith (huit ans) et Lorina (treize ans), l'histoire fantastique d'une petite fille justement appelée Alice après qu'elle fut tombée dans le terrier d'un lapin. Quand il eut fini, Alice Liddell lui demande s'il est possible qu'il couche l'histoire sur le papier, insistant encore et encore, ce qu'il fait finalement. Les Aventures d'Alice au Pays des Merveilles est ainsi édité pour la première fois trois ans plus tard, le 4 juillet 1865. Dogson avait accompagné son manuscrit de 37 illustrations personnelles, mais ne se trouvant pas extrêmement bon dans ce domaine, il demanda finalement à John Tenniel d'illustrer son récit. Le dessinateur était alors réputé pour sa participation à la revue satirique Punch. Le succès du livre ne se fit pas attendre, Dogson se décida alors à en écrire une suite. C'est ainsi qu'en 1871 sorti De l'Autre Côté du Miroir. Le destin du jeune professeur de mathématiques en fut changé à jamais, il devint ainsi un des plus grands romanciers pour enfant de toute l'histoire de la littérature.
De g. à d. : W.D. étudiant les storyboards - Mary Blair et Ken Anderson - Winston Hibler, Ted Sears, W.D. et Ed Penner
Le roman de Lewis Carroll tenait une place particulière dans le coeur de Walt Disney. Il découvre les aventures d'Alice dans son enfance, en lisant le roman, comme bon nombre d'enfants du début du XXème siècle. Dès 1923, il s'en était inspiré pour sa série Alice Comedies, dont le premier cartoon s'appelait justement Alice in Wonderland. L'idée de réaliser un long métrage d'animation s'inspirant des livres de Lewis Carroll date du début des années 30, avant même de s'intéresser à Blanche Neige et les Sept Nains. En 1931, Walt disney acheta les droits des illustrations de John Tenniel, qui étaient toujours protégés par les droits d'auteur. Il put ainsi commencer à étudier la manière d'adapter le livre en animation. Mais en 1933, Paramount Pictures annonça qu'ils s'apprêtaient à créer une adaptation d'Alice en film, avec une brochette de stars. Walt Disney préféra alors mettre de côté son projet. Néanmoins, l'idée était toujours présente, et en 1936 sorti le court métrage De l'Autre Côté du Mirroir avec Mickey Mouse en vedette. Ce dernier s'endort en lisant Alice au Pays des Merveilles et passe à travers le miroir de son salon pour découvrir un monde où les objets s'animent. Ce cartoon était évidemment un bel hommage à l'oeuvre de Lewis Carroll.
Walt Disney hésita pendant plusieurs années sur le type de film adapté à l'histoire d'Alice. Il fut un temps prévu de le réaliser en combinant prises de vue réelles et animation, comme ce fut le cas pour Mélodie du Sud. Ils avaient d'ailleurs trouvé une actrice qui aurait été parfaite dans le rôle d'Alice en la personne de Luana Patten. Ce n'est qu'après différents tests qu'ils se sont rendu compte que le meilleur moyen de rendre hommage au récit de Carroll était de réaliser le film en animation.
De g. à d. : Ward Kimball et W.D. - John Hench, Claude Coats et Walt Disney - Walt Disney et l'équipe des décors
Le titre du film est déposé en 1938, et deux personnes sont alors choisies pour travailler sur les esquisses du projet : le scénariste Al Perkins et l'illustrateur David Hall. Ce dernier créa des centaines de dessins, reproduisant tout les aspects de l'histoire, tandis que son partenaire s'afférait à donner une continuité au récit qui n'était fait que d'une suite d'épisodes indépendants. Les dessins de David Hall furent filmés et accompagnés de voix d'acteurs, dont Cliff Edwards (la voix originale de Jiminy Cricket), avant d'être présentés à Walt Disney. Malheureusement le maître n'était pas emballé. Le style graphique de David Hall était trop complexe pour être utilisé en animation. De plus, l'histoire était trop sombre pour concorder avec la vision de Walt. Le projet fut alors à nouveau mis de côté...
Malgré deux tentatives avortés, Wat Disney garda encore en tête le livre de Carroll. Il admirait trop le travail de l'auteur pour laisser tomber aussi facilement! Le projet fut finalement remis sur les rails vers 1947. Le défi principal pour les artistes des studios Disney restait de réussir à adapter l'absurde verbal des romans au médium de l'animation. Pour le style graphique du film, Walt Disney confia la tâche à ses meilleurs artistes dont la talentueuse Mary Blair. Son style épuré et coloré n'a jamais été aussi présent dans un long métrage d'animation que dans Alice au Pays des Merveilles. Elle réalisa ainsi des centaines d'études préliminaires à mille lieux du style de David Hall, dont l'équipe de décorateurs s'inspira fidèlement.
Du côté de l'animation, le style des personnages est en grande partie le fruit du travail de Ward Kimball. Son humour décalé et son talent inimitable pour animer les personnages comique lui valut de diriger quelques séquences du film, en plus d'être l'animateur principal de Tweedle Dee, Tweedle Dum, le Charpentier, Mr Morse et du Chapelier Fou. Alice fut quant à elle principalement confié à Milt Kahl, mais aussi à Les Clark et Marc Davis. John Lousnbery s'occupa du Chat du Cheshire, tandis qu'Eric Larson anima la Chenille. Enfin, Frank Thomas s'occupa de la Reine de Coeur et Ollie Johnston du Roi de Coeur.
De gauche à droite : Walt Disney observant un layout - Ted Sears et Kathryn Beaumont, la voix orignale d'Alice
Comme pour Cendrillon, Alice au Pays des Merveilles fut entièrement tourné en prise de vue réelle afin d'aider les animateurs. La jeune comédienne, Kathryn Beaumont, qui prêta sa voix à Alice se souvient du tournage épique : "Le tournage fut mémorable! Il n'y avait aucun décor sur le plateau sauf quelques structures et des dispositifs nécessaires à certaines scènes. J'en veux pour exemple cette bouteille géante en plastique montée sur une plate-forme roulante prévue pour la séquence ou Alice rencontre le Dodo. Alors que je marchais en vacillant d'avant en arrière pour tenter de m'échapper, les animateurs pouvaient saisir mes mouvements de manière plus réaliste."
A l'occasion de la sortie du film, une émission spéciale fut réalisée pour la télévision et diffusée à Noël 1950. Ce fut le premier programme Disney diffusé sur le petit écran, qui sera par la suite suivi de nombreux autres, grâce notamment à l'émission culte du Mickey Mouse Club.
En avril 1951, Walt Disney écrivait à son producteur anglais Perce Pearce une lettre plutôt enthousiaste sur le résultat final : "Tout semble s'arranger ici. Le film Alice est sur le point d'être bouclé et je pense que nous avons tiré le meilleur, compte tenu de la complexité du sujet. Je crois qu'il s'agira d'une performance très amusante. De nature quelque peu emphatique, le film garde pourtant une bonne dose de fantaisie et devrait satisfaire tout le monde, à l'exception, bien entendu, des éternels mécontents."
Malgré l'enthousiasme de Walt Disney, une excellente animation et de nombreuses chansons réussies, le film fut un échec à sa sortie sur les écrans américains le 28 juillet 1951. Les studios Disney ont pris des risques en adaptant cette histoire très complexe, on ne peut pas gagner à tout les coups... Néanmoins, Alice au Pays des Merveilles gagna en popularité au fil des années, notamment grâce à sa ressortie au cinéma en 1974, en pleine période psychédélique (voir l'affiche ci-dessus), et ses différentes ressorties vidéo. Le film est aujourd'hui considéré comme un des plus réussis du vivant de Walt Disney et reste à jamais gravé dans les mémoires de millions d'enfants.
Recherches de Mary Blair :
Recherches de David Hall :