Frankenweenie
Troisième long métrage en stop motion de Tim Burton, Frankenweenie est un remake du court métrage éponyme de 1984. À l'époque, le tout jeune réalisateur, qui dirigeait alors de vrais acteurs pour la seconde fois seulement de sa vie, s'était vu offert un budget d'un million de dollars pour réaliser un court métrage de 30 minutes. Il dira plus tard que si on lui avait donné plus de temps (et d'argent) il en aurait fait un long métrage. 28 ans plus tard, les studios Disney donnent enfin à Tim Burton l'opportunité de démontrer une nouvelle fois tout son talent sur une version long métrage de Frankenweenie, mais cette foi-ci en image par image!
L'idée de Frankenweenie germa dans l'esprit de Tim Burton au début des années 80. Grand fan des films d'horreur des années 30, Tim Burton a voulu avec ce film leur rendre un vibrant hommage. Frankenweenie se veut ainsi une "parodie" éloignée du Frankenstein de James Whale, avec Boris Karloff. On retrouve également bon nombre des titres de films d'horreur célèbres dans les noms de familles des différents protagoniste du film (Victor Frankenstein, Elsa Van Helsing, Edgar “E” Gore et M. Burgemeister). L'origine du projet vient aussi de la relation qu'a eu Tim Burton avec son propre chien étant petit, très forte et affective. La vie des petits canidés étant bien plus courte que la nôtre, nous devons tous un jour ou l'autre faire face à leur disparition. De ce thème, combiné à sa passion pour les films d'horreur des années 30, naquit Frankenweenie. Prévu pour accompagner Pinocchio, lors de sa nouvelle sortie en salle, Frankenweenie fut mis au placard par Disney lorsqu'il écopa de la classification PG (interdit au moins de 12 ans non accompagnés). Le film connu tout de même une brève carrière en Angleterre, en avant-programme du film Touchstone Baby : le Secret de la Légende Oubliée, et sera finalement disponible en vidéo dès 1992.
Le projet de réaliser une version long métrage de Frankeweenie remonterait à novembre 2005, lorsque Josann McGibbon et Sara Parriott écrivirent une première version du script. Ce n'est qu'en 2006, lorsque Tim Burton signa un contrat avec Disney pour la réalisation de deux films en Disney Digital 3D (Alice au Pays des Merveilles et Frankenweenie) que le projet fut officiellement lancé. Il faudra encore attendre 2009, et la réécriture du scénario par John August, pour que la production de Frankenweenie soit réellement sur les rails. Contrairement au court métrage, la version longue de Frankenweenie fut réalisé en stop motion. Grand amateur de cette technique d'animation, Tim Burton s'y était déjà essayé avec succès sur L'Étrange Noël de Monsieur Jack et plus récemment sur Les Noces Funèbres. Il recruta d'ailleurs une bonne partie de l'équipe de ce dernier film pour réaliser Frankenweenie. Tim Burton voulait déjà utiliser le stop motion pour son court métrage de 1984, mais sa demande fut rejetée par les dirigeant des studios Disney, jugeant la technique peu accessible par le grand public.
Le tournage de Frankenweenie débuta au mois de juillet 2010 aux Three Mills Studios basés à Londres. 33 animateurs ont travaillé sur le film et la plupart ont oeuvré seuls durant les deux années qu’il a fallu pour créer le film. La semaine typique d’un animateur commençait lorsqu’on lui confiait un plan – un seul animateur étant responsable de tous les personnages impliqués dans ce plan. Après avoir examiné le travail à faire, l’animateur faisait un survol global, une répétition générale avec le directeur d’animation. Ce processus contribuait à définir les mouvements de caméra, l’éclairage et l’emplacement des accessoires. Le lendemain, l’animateur prenait le temps d’effectuer une répétition, complète, plus poussée, où il pouvait se pencher sur les spécificités du jeu d’acteur et le rythme du plan. Tim Burton et le directeur d’animation Trey Thomas étaient très précis dans ce qu’ils désiraient et dans les moyens de faire passer l’émotion et l’humour. L’animateur se consacrait également au réglage de la tension de la marionnette. Cette étape impliquait de régler les vis des membres et des articulations afin de déterminer ce qui fonctionnait le mieux. Certains animateurs cherchent une précision absolue ; ils règlent alors la tension au maximum, alors que d’autres préfèrent une approche plus douce et donc une tension plus lâche.
Un animateur passe forcément plusieurs heures à travailler avec une marionnette pour obtenir tous les mouvements nécessaires, qu’il s’agisse pour elle de s’asseoir, de se tenir debout ou de boire une tasse de thé ou de n’importe quelle autre action. Le jour du tournage, l’animateur sait exactement quoi faire et peut alors commencer à filmer à 24 images par seconde. En tant que directeur d’animation, Trey Thomas s’est activement impliqué dans le processus. Chaque jour, il se rendait sur chacun des plateaux et aidait les animateurs en cas de difficulté. Il explique : “Chaque plan est comme une pièce d’un grand puzzle, il s’agit d’obtenir pour chaque image les expressions et les gestes qui entrent dans un jeu réaliste et crédible. Tim Burton cherchait un style crédible et il voulait que l’on respecte les lois de la physique. Tout devait avoir l’air vrai. Il désirait un film réaliste, authentique, sincère et c’est ce qu’ont cherché à obtenir tous les animateurs.”
Plus de 200 marionnettes ont été créées pour le film, dont 18 Victor et 15 Sparky. Il fallait disposer de plusieurs exemplaires de chaque personnage puisque chaque animateur travaillait indépendamment sur des scènes différentes. Ils devaient également pouvoir recourir à des doubles si une marionnette avait besoin de réparations.
La première marionnette à avoir été conçue pour le film a été Sparky, et c’est elle qui a dicté les dimensions de chacun des éléments de la totalité du film. Tim Burton avait une vision très précise du personnage, il souhaitait qu’il agisse et bouge comme un vrai chien. L’armature de la marionnette étant très complexe, il était littéralement impossible de faire Sparky d’une taille inférieure à 10 centimètres si l’on voulait qu’il ait le comportement et la personnalité nécessaires. Une fois la taille de Sparky fixée, les maquettistes ont pu en déduire l’échelle du reste des personnages et des décors. Les marionnettes disposaient de différents degrés d’articulation. Victor était le personnage humain le plus complexe et le mécanisme de sa tête contenait non seulement des commandes pour les lèvres et les sourcils mais aussi un système complexe de clés Allen qui permettait à l’animateur de faire bouger ses joues et sa mâchoire de façon très progressive. Cela lui a donné des capacités d’acteur remarquablement subtiles et variées. D’autres marionnettes, comme Elsa Van Helsing et son oncle, M. Burgemeister, apparaissent moins souvent à l’écran et n’avaient pas besoin de toute la gamme d’émotions de Victor. Les animateurs ont pu obtenir ce dont ils avaient besoin uniquement par la manipulation des lèvres et des sourcils. Sparky était lui aussi une marionnette d’une formidable complexité. Son corps comporte plus de 300 articulations et en raison de la finesse de ses pattes, il fallait souvent le soutenir avec un dispositif spécial afin que les animateurs puissent le faire bouger comme un chien de façon plus réaliste. La productrice Allison Abbate explique : “Sparky ne reste jamais immobile et il aurait été impossible de le stabiliser sur ses petites pattes toutes fines. À présent que l’on est capable de supprimer de l’image les câbles et autres dispositifs au moment de la postproduction, les animateurs bénéficient d’une liberté complète pour le faire gambader et bondir partout comme un vrai petit chien.”
Le processus complexe de fabrication des marionnettes comporte plusieurs étapes, chacune étant elle-même complète. Tim Burton commence par dessiner une esquisse du personnage. Le croquis est remis aux fabricants des marionnettes chez Mackinnon and Saunders en Angleterre, qui réalisent alors des sculptures en trois dimensions des dessins, appelées maquettes. Des discussions ont lieu au sujet de ces maquettes entre Tim Burton et les fabricants afin de donner au personnage la forme et l’apparence exactes que souhaite le réalisateur. Une fois que les dimensions et tous les autres critères sont définis, les artistes réalisent une sculpture définitive, distincte de la première maquette. Celle-ci présente une attitude neutre, bras le long du corps, tête droite, visage de face et pieds légèrement écartés. L’étape suivante consiste à fabriquer un moule de la maquette. À partir de ce moule, le fabricant de marionnettes peut réaliser des moulages qui servent à fabriquer une armature. À ce stade, il est important que le fabricant étudie le scénario et détermine ce que la marionnette devra être capable de faire. Le personnage va-t-il s’asseoir, manger, sauter ? Muni de ces informations, le fabricant peut réaliser le type de squelette qui convient précisément aux actions que devra accomplir la marionnette.
La fabrication des armatures doit être très précise car de nombreux éléments mobiles de très petite taille doivent s’insérer à des endroits précis dans le corps de la marionnette. Une fois que l’armature a été fabriquée, le fabricant de marionnettes commence à mouler les personnages. L’armature est placée dans le moule, dans lequel on coule ensuite de la silicone ou du latex. Souvent, la tête est fabriquée à part. Parallèlement, Tim Burton était occupé à travailler avec les artistes pour concevoir les costumes et choisir les tissus. Les costumiers commencent par réaliser des modèles des costumes afin de les faire approuver par Burton, comme par exemple les imperméables de M. et Mme Frankenstein. Ils doivent ensuite coudre à la main tous les costumes avec points de couture très petits pour respecter l’échelle. Ensuite vient le travail des perruquiers. Ceux-ci ont utilisé de vrais cheveux humains pour leurs marionnettes. Ils ont d’abord fait des essais avec des cheveux synthétiques, mais ceux-ci étaient trop brillants et avaient tendance à friser quand on les tirait un peu trop. Chacun de ces cheveux a été piqué individuellement dans la tête, puis ils ont été montés sur du fil de fer, afin de simuler le mouvement de la chevelure lorsque le personnage marche.
Pour créer les décors représentant New Holland et la banlieue des années 70, les cinéastes ont fait appel au chef décorateur oscarisé Rick Heinrichs, qui avait déjà collaboré avec Tim Burton sur plusieurs films, dont le court métrage original Frankenweenie. Plusieurs éléments relatifs à l’aspect visuel ont été repris tels qu’ils existaient dans le court original : l’utilisation du noir et blanc, le style expressionniste, l’hommage aux vieux films d’horreur. Burton et Heinrichs ont travaillé ensemble pour créer une nouvelle version de ce qui comptait aux yeux de Burton dans sa création originale et déterminer ce qui nécessitait une approche résolument nouvelle en matière de conception.
Rick Heinrichs a commencé par faire des recherches pour définir une approche du concept visuel du film et de l’atmosphère générale. Contrairement à la plupart des films en prises de vues réelles, l’animation en volume exige de créer tout un monde à partir de zéro. En utilisant la période temporelle à laquelle se déroule l’histoire comme point de départ, Rick Heinrichs s’est documenté sur le style de l’époque, en gardant en permanence à l’esprit que l’intrigue et l’intensité dramatique devaient également être racontées au public de manière visuelle.
La création des décors a commencé en novembre 2009, au sein d’un département décors réduit à Los Angeles – au début, il ne comptait que quelques illustrateurs et un assistant pour les recherches. Rick Heinrichs et son équipe y ont travaillé trois mois avant que l’équipe de décoration ne s’installe à Three Mills Studios à Londres. Là, le directeur artistique Tim Browning a collaboré avec Heinrichs, continuant à développer les décors à l’aide de maquettes en volume, de dessins et d’échantillons. Tim Browning a coordonné le travail des départements artistique, maquettes, décoration et construction – les décors ont été construits sur de grandes tables et entièrement équipés et décorés. Ils sont fabriqués à une échelle bien inférieure à celle des décors d’un film en prises de vues réelles mais le travail qu’exige leur construction présente de très nombreux défis. Tous les éléments de décor doivent être à l’échelle des personnages – c’est Sparky, le plus petit des personnages principaux requérant une armature et des mécanismes complexes, qui a donné l’échelle de tout le reste. Très rares étaient les accessoires que l’on pouvait trouver déjà existants à la bonne échelle et il a donc fallu en fabriquer la majorité et tout peindre à la main. En tout, environ 200 décors ont été construits pour Frankenweenie.
Frankenweenie a été tourné en noir et blanc. Il s’agit du premier film animé jamais réalisé en noir et blanc. La palette s’étendait du noir au blanc avec des centaines de nuances de gris entre les deux. Rick Heinrichs était ravi d’utiliser une palette monochromatique pour raconter cette histoire. Il commente : “Chaque fois que l’on peut, en tant que décorateur, restreindre l’étendue des outils à notre disposition pour mieux tirer parti des quelques-uns que l’on peut utiliser, le résultat est meilleur, plus dense. Ici, nous avons concentré notre attention sur les formes, les lumières et les ombres, les silhouettes et les textures. Je suis profondément convaincu que lorsqu’on limite certaines choses, on obtient pour résultat d’attirer l’attention des spectateurs sur les éléments restants.”
Les décorateurs ont testé différentes teintes de gris et de couleurs pour trouver celles qui convenaient : il fallait que les objets comportent suffisamment de contrastes pour ressortir à l’image. Dans certains cas, la couleur d’origine a été conservée car son rendu était plus riche une fois traitée en noir et blanc. Par exemple, les rideaux rouge foncé rendaient mieux en noir et blanc que les gris. Les marionnettes ont été peintes en noir et blanc, tout comme la plupart des décors. Seuls, quelques objets, comme l’herbe et les fleurs qui ne rendaient pas bien en noir et blanc, ont conservé leurs couleurs naturelles.
Tim Burton a été inflexible : Frankenweenie serait tourné en noir et blanc, et ce pour de très bonnes raisons. Le réalisateur explique : “Le noir et blanc fait partie intégrante de l’histoire, de son identité et de son émotion et cela a toujours été très important. Le noir et blanc a quelque chose d’émouvant, un peu comme si c’était un personnage. Voir ce type d’animation en noir et blanc ajoute une certaine profondeur, et la manière dont les personnages et les objets entrent et sortent de l’ombre est très intéressante, elle contribue à raconter l’histoire.”
Frankenweenie sortit sur les écrans américains le 5 octobre 2012. Il fut moyennement accueilli par la critique qui lui reprochèrent son manque d'originalité. Les chiffres au box office ne furent guère plus positifs, le film fut à peine rentabilisé avec les recettes US (il a coûté 40M$). Néanmoins, Frankenweenie est tout de même une belle réussite technique et artistique dont le succès ne reflète guère la qualité.
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