Interview animateur Stéphane Mangin
Contrairement aux studios d'animation concurrents, les artistes français se font assez rares aux Walt Disney Animation Studios, on peut les compter sur les doigts d'une main... Parmi la nouvelle génération d'animateurs 3D fraîchement débarqués ces dernières années, il y a Stéphane Mangin, jeune animateur français repéré grâce à sa déjà belle expérience dans différents studios d'animation français et londonien. Nous avons eu le plaisir de l'interviewer il y a quelques jours pour en savoir plus sur sa carrière et son travail aux Walt Disney Animation Studios !
INTERVIEW :
Bonjour Stéphane, merci d'avoir accepté cette interview pour Art of Disney.
Stéphane Mangin : Bonjour Antoine, de rien, c'est avec plaisir !
Pas trop dure la vie à Los Angeles (c'est ironique) ?
SM : Et bien si justement ! La vie ici, pour un citadin chevronné, c'est pas l'Amérique. Niveau météo, c'est vrai qu'on a pas a se plaindre, il fait beau tout le temps, mais vraiment tout le temps. La derniere fois qu'il a plu doit dater d'il y a deux mois, et ça a duré vingt minutes !
Par contre ayant vécu à Paris et à Londres pendant une bonne partie de ma vie, je me suis habitué à une faune citadine dense et intéressante, ainsi qu'à utiliser les transports en commun. Ici, il faut s'imaginer habiter dans une banlieue de banlieue (de banlieue). Il n'y a pas à proprement parlé de centre-ville et tout se fait en voiture car les distances sont multipliées par dix par rapport aux villes européennes. Donc il y a peu de gens sur les trottoirs, et il est rare de faire plus de 500m de marche dans une rue intéressante...
Peux-tu nous parler de ton enfance, ce qui t'a amené à l'animation ?
SM : J'ai la chance d'avoir vécu pour la plus grande partie de ma vie à Annecy. Mes parents y vivent encore d'ailleurs. Et c'est bien entendu du festival d'animation qu'est parti mon envie d'être animateur. Tout a commencé grâce à une projection publique du film d'Hayao Miyazaki, Le Château dans le Ciel, quand j'avais 10-12 ans. C'était la première fois que le film était projeté en dehors du Japon, donc en version originale, et sous titré en anglais. Je n'y comprenais clairement rien du tout, mais j'étais quand même transporté dans un autre univers par le film ! Ce serait un de mes plus grand rêve que de bosser pour Ghibli... Si au moins il faisait des films 3D !!!
Peux-tu nous parler de ton parcours professionnel ?
SM : Tout d'abord, je suis allé à l'école Georges Méliès à Orly, après une tentative ratée pour devenir designer à l'école Bellecour de Lyon. A Méliès, j'ai rencontré mon tout premier directeur d'animation, Michel Rimbault. Il a été interessé pour me prendre en tant qu'animateur junior chez feu le studio Sparx, sur le long métrage sorti directement en vidéo Mickey, Il Etait Deux Fois Noël pour Disney. J'ai eu une chance folle de commencer ma carriere de la sorte ! Ensuite, j'ai bossé pour quelques projets de-ci de-là, et j'ai rejoint assez vite le studio Mac Guff, où j'ai eu la chance de bosser pendant pas mal d'années pour les productions de Pierre Coffin comme Pat et Stanley, les pubs Loto suisse ou Caisse d'Epargne, ainsi que d'animer sous la direction de Patrick Delage, ou de Lionel Gallat sur Moi, Moche et Méchant en tant que lead animateur. Après ce film, j'ai eu la chance de pouvoir traverser la manche pour travailler sur le film John Carter chez Double Negative. Ça a été clairement un énorme changement de style pour moi, de passer du cartoon à de l'animation ultra réaliste, mais c'est le meilleur moyen d'évoluer ! D'ailleurs, j'ai du bien réussir mon coup car je suis passé lead apres avoir travaillé sur la pré-production du film ! Et après ça, j'ai finalement réalisé un vieux rêve de gosse et je suis arrivé aux Walt Disney Animation Studios il y a 18 mois maintenant !
Comment s'est passé ton recrutement pour les Walt Disney Animation Studios ?
SM : Comment dire... En sueur ? Je leur ai envoyé ma bande démo et mon CV à la fin de la production de John Carter, et ils m'ont très vite rappelé pour me proposer un entretien sur Skype. Quel stress ça a été de devoir parler à une douzaine de leads et directeurs d'animtion en même temps, avec une connection internet qui marche à moitié, et essayer de différencier la personne qui me parlait des autres dans la bouillie de pixels que formait mon écran... J'en suis sorti trempé de sueur, et déprimé car j'étais certain d'avoir raté mon coup. Et ben non !
Quel est ton animateur préféré (Disney ou autre) ? Et pourquoi ?
SM : Je pourrai dire Glen Keane, Eric Goldberg ou Chuck Jones comme tout le monde mais pour être franc, en ce moment je suis émerveillé par chaque plan d'un des leads ici a Disney. Il s'appelle Tony Smeed. Et il est ce genre d'animateur qui te fais savoir que tu es a Disney, et que ça ne rigole plus ici. Vous vous rappelez le plan dans Raiponce avec Flint attaché à un fateuil et subissant un interrogatoire de Raiponce, tournant autour de lui, arme d'une poele? Et ben voila, c'est lui, entre autres... Un monstre, et d'une gentillesse choquante en plus.
Qu'as-tu animé sur Les Mondes de Ralph ? Quels personnages, quelles scènes ?
SM : Sur Ralph, j'ai a peu près animé tout les personnages... Ce qui était plutôt génial, mais en même temps assez stressant car je devais sauter d'un style d'animation à un autre à chaque plans.
La petite anecdote veut que j'ai été le premier animateur à me faire la main sur King Candy. Je me suis mis à faire une animation super cartoon et les leads du film ont adoré ! Ils ont voulu le montrer directement à John Lasseter (il supervise tout les projets ici) et voila ! Le personnage a pris pas mal de mon style grâce a lui ! Le plan se passe pendant la séquence de l'interrogatoire quand Ralph est prisonnier dans un cupcake, le moment où King Candy s'excite tout seul.
Quel est ton meilleur souvenir sur cette production ?
SM : Mon meilleur souvenir sur la production de Les Mondes de Ralph a été assez rapide à se montrer ! Dès le premier jour, on vous emmène faire le tour des locaux, et c'est grand, très grand. Mais pendant ma visite, un autre animateur m'a convié à ma toute première "dailies" (session durant laquelle on montre ses animations au réalisateur, accompagné des superviseurs de l'animation). Je le suis jusqu'à la salle de cinéma, m'installe à peu près au milieu de la salle, et quelques minutes après j'entends une grosse voix dans mon dos qui se marrait avec quelques autres... Je me retourne et là je me retrouve assis un siège devant John Lasseter, avec à sa gauche le réalisateur de Les Mondes de Ralph Rich Moore et à sa droite la légende de l'animation Eric Goldberg. Je venais juste de me transformer en flaque d'eau dans mon siege... Mon dieu c'est dans ces moments que je me rends compte de la chance infinie que j'ai d'avoir été pris chez Disney !
Un autre super souvenir a été après la production. Je suis allé voir le film au El Capitan Theatre, la fameuse salle de cinéma Disney sur Hollywood Boulevard. J'ai été émerveillé de voir tous les gamins et une bonne partie des adultes aussi (il y a un culte de Disney à LA, avec un club de fan énorme) commencer à chanter sur une des chansons du film, avec Ralph et Vanellope dansant sur la scène, éclairage et fumée partout, alors que le film venait tout juste de sortir ! Le show à l'américaine quoi...
Les temps de production sont très courts aux WDAS, le rythme a t'il été difficile à tenir ? Quelles sont les différences par rapport aux studios français ?
SM : Le rythme est vraiment difficile à tenir ici, mais ils prennent vraiment soin des gens. Massage, bureaux ou box de travail personnalisables, et une vie de studio plutôt importante avec café gratuit, concerts privés, projections de films, et des personnalités de l'animation venant faire des interventions comme Katsuhiro Otomo ou autres...
Et la mentalité de travail est vraiment différente de la France: ici, tout est "awesome", tout le monde va de l'avant et ne se plaint pas du labeur. Ce sont de gros travailleurs aux US. C'est assez perturbant en tant que bon Francais de voir autant de positivisme ! Mais on s'y fait plus vite qu'on le croit... Et surtout, grosse différence ici par rapport a la France, les heures supplémentaires sont payées !
As-tu un ou des mentors aux studios ?
SM : Non, mais chacun est l'inspiration de l'autre ici. On a pour habitude de regarder chaque plan et apprécier le travail... Et il y a tellement de génies ici que chaque jour tu reçois une bonne baffe et tu te promets que tu feras mieux sur ton prochain plan !
Travailles-tu sur des projets personnels en dehors des studios ? Peux-tu nous en dire deux mots ?
SM : Pas le temps, les productions s'enchainent de plus en plus vite ici, et je ne compte plus mes heures passées au boulot ! Et il fait si beau dehors, à quoi ça sert de s'enfermer chez soi après le travail.
Sur quoi travailles-tu en ce moment aux studios ?
SM : Je travaille sur le prochain film de Chris Buck, La Reine des Neiges. Je ne pense pas avoir le droit d'en dire plus par contre désolé !
Pourrais-tu nous décrire en détail une journée de travail type d'un animateur aux studios ?
SM : La journée type commence par le bar à céréales gratuites à 9h du matin. On ingurgite son petit déjeuner en lisant ses mails et ensuite au boulot. Normalement, vous avez deux fois dans la journée des sessions avec les superviseurs où vous pouvez montrer votre boulot, et par la suite dans l'après midi, une session avec le ou les réalisateurs pour leur montrer notre blocking (moment de l'animation où les poses sont mises en place, sans les animations intermediaires) ou pour approuver nos plans. Rien de bien spécial, à part si vous voulez prendre un massage, des cours de fitness ou jouer au billard ou même participer à des cours de sculpture etc. Disney traite vraiment bien ses employés généralement.
Quels conseils donnerais-tu aux étudiants et aux jeunes diplômés en animation pour bien débuter leur carrière ?
SM : Je dirais qu'il ne faut jamais se démotiver. Il y a beaucoup de gens sur le marché, donc il faut réussir à se détacher des autres et toujours essayer d'apporter quelques chose de neuf, quelque soit l'animation que vous faites ! Et si vous avez le temps entre deux productions ou deux exercices, exercez vous sur une bonne scène d'acting. C'est ce que les studios regardent le plus généralement...
Pour exemple, mes amis à Pixar m'ont parlé d'une animatrice qui travaillait en VFX chez MPC à Londres. Elle a envoyé sa bande démo à Pixar avec en très grande partie des animations de quadrupèdes ou des créatures de toutes sortes. Mais au milieu de tout ça, elle s'était exercée sur un petit acting personnel. Une scène entre une jeune fille et une vieille personne... Très simple, peu d'animation, mais l'intention était juste et précise. Et voila, maintenant elle vit à San Francisco !
Dernière chose, et j'en ai fait les frais au début de ma carrière... Et un peu au milieu... Ouais bon et depuis pas trop longtemps aussi ! C'est d'essayer de toujours rester humble, de travailler en équipe, et d'être toujours flexible quant à votre animation. C'est difficile de refaire un plan quand le réalisateur ou le client vous le demande, c'est vrai, mais c'est aussi une grosse part de notre métier que de mettre en scène la vision des autres. Et si vous pouvez le faire au mieux, sans rechigner à la tâche, c'est la meilleure formule pour réussir votre carriere !
Merci Stéphane pour le temps que tu nous a consacré et bon courage pour la suite de ta carrière !
SM : Merci pour cette interview ! Bonne continuation !